La protection du conjoint survivant constitue l'une des préoccupations majeures des couples...
... à plus forte raison lorsqu'il existe une disparité patrimoniale entre les époux. Le législateur a entendu cette aspiration quand, à la faveur des lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006, il a considérablement amélioré la protection légale du conjoint survivant, même si ce dernier n'a plus la qualité d'héritier réservataire d'une succession, a contrario des descendants.
Il subsiste malgré tout nombre de situations dans lesquelles la loi limite, de façon plus ou moins substantielle, les droits du survivant des époux : c'est par exemple le cas au sein des familles recomposées (en présence d'enfants non communs) ou lorsqu'un des parents a déjà gratifié de son vivant les enfants, limitant ainsi la masse successorale future sur laquelle le conjoint survivant fera valoir ses droits légaux.
De nombreux mécanismes ou institutions permettent aujourd'hui d'améliorer le sort du conjoint survivant
Néanmoins, leur appréhension et leur utilisation par les intéressés s'avèrent souvent défaillantes, faute d'en connaitre les subtilités voire l'existence même.
La donation entre époux, communément appelée « donation au dernier vivant », est un dispositif juridique éprouvé, fréquemment adopté par les couples prévoyants, et parfaitement adapté à la multiplicité des modèles familiaux. Mais les nombreux avantages de cette libéralité demeurent encore assez méconnus ou inexploités. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons d'en rappeler le fonctionnement et d'énumérer quelques opportunités d'utilisation.
La donation entre époux est une institution contractuelle, réservée aux couples mariés, portant sur des biens à venir (ceux figurant dans la succession). Sa nature est hybride, à mi-chemin entre le testament et la donation portant sur des biens présents. Elle peut être conclue au sein du contrat de mariage ou formalisée par un acte de donation. Le choix de l'un ou l'autre de ces formalismes emporte une conséquence importante : si elle est réalisée par contrat de mariage, elle est alors irrévocable alors que si elle est réalisée par acte de donation séparé, comme toute donation elle sera révocable de façon unilatérale.
La donation entre époux a pour objet d'augmenter les droits du conjoint survivant dans la succession et pour effet de conférer davantage de souplesse dans le choix de dévolution qui sera opéré. Son utilisation éclairée présente alors un double avantage : transmettre plus, transmettre mieux.
Transmettre plus : des droits dans la succession renforcés et sécurisés
A défaut de donation, ce sont les droits légaux qui s'appliquent, dont l'étendue varie selon l'existence ou non d'enfants et selon que les enfants sont issus du couple ou d'une précédente union. Si le conjoint donateur laisse un ou plusieurs enfants communs, vivants ou représentés, la part qui est dévolue au survivant correspond, au choix, à la totalité de la succession en usufruit ou au quart en pleine propriété (cf. tableau ci-dessous). En présence d'enfants issus d'une précédente union du donateur la dévolution est plus contrainte puisqu'elle ne porte que sur le quart en toute propriété de la succession.
La donation au dernier vivant offre un choix plus large (cf. tableau ci-dessous) puisqu'elle est permet au conjoint survivant, de façon automatique, de bénéficier de l'une des trois options permises par la loi (cf. tableau ci-dessous).
Mais les époux restent libres de demander ou non à ce que les droits du survivant soient limités à ces trois options. Ainsi, les époux peuvent prévoir l'attribution au conjoint survivant de droits plus importants, voire de l'intégralité de la masse successorale. Si nécessaire, l'accord des descendants (les enfants) pourra être demandé, ces derniers pouvant le cas échéant renoncer à demander la réduction de la donation pour atteinte à leur réserve héréditaire. Alternativement, une indemnisation (en valeur ou en nature) par le conjoint survivant peut être prévue afin de dédommager les enfants.
Le conjoint survivant peut opter pour une dévolution portant sur la « quotité disponible spéciale » entre époux qui présente l'avantage d'être potentiellement plus élevée que celle dont dispose normalement tout conjoint dans la dévolution de ses biens (par exemple pour un couple avec deux enfants, elle s'élève à un tiers de la succession en pleine propriété, contre un quart en l'absence de donation). Et ce « surplus » de droits successoraux n'est pas contestable par les descendants (généralement les enfants), même s'il venait à empiéter sur leur réserve héréditaire. Les droits légaux du survivant, potentiellement précaires en présence d'enfants ou dans les cas où le défunt aurait déjà consenti des libéralités à leur profit de son vivant, s'en trouve ainsi sécurisés.
En outre, la donation peut également prévoir des facultés d'attribution de certains biens, que les époux pourraient considérer comme « sensibles » ou « privilégiés », comme par exemple une résidence principale ou secondaire, ou encore les titres d'une entreprise. Là encore, la donation entre époux offre à ces derniers une sécurité et une souplesse supplémentaire.
La donation au dernier vivant présente également un intérêt particulier dans le cas des familles recomposées, lorsque le défunt laisse pour héritiers des enfants d'une précédente union. Elle permet en effet au conjoint survivant de bénéficier d'un choix plus large et de quotités plus importantes que ceux résultant des droits légaux (qui sont limités au quart de la succession en pleine propriété). Il peut notamment exercer des droits en usufruit sur la succession (combinés ou non avec une dévolution en pleine propriété).
Transmettre mieux : la faculté de cantonnement
La donation entre époux permet non seulement d'accroître et de sécuriser les droits du conjoint survivant, elle permet aussi, et c'est un autre intérêt majeur de cette libéralité, bien que méconnu, de les aménager en fonction des besoins patrimoniaux futurs. Il est difficile pour un couple d'estimer par avance, souvent des années voire des décennies avant le décès de l'un d'eux, quels seront les besoins réels du survivant. Les droits de ce dernier, s'ils sont d'ores et déjà figés dans le marbre quant à leur quantum et leurs modalités d'application, pourront, au moment du décès de son conjoint, s'avérer en inadéquation avec ses besoins et, plus largement celle de la famille, et conduire, selon les cas, à une protection insuffisante ou, à l'inverse, à une surprotection (au détriment des autres héritiers et au prix, dans certains cas, d'une fiscalité successorale plus élevée).
La donation entre époux permet à l'époux survivant de « faire son marché », autrement dit lui donne la possibilité de limiter ses droits (en usufruit et / ou en pleine propriété) à la stricte proportion qui lui apparaît nécessaire pour assurer sa protection. Ce dénouement sur mesure est appelé faculté de cantonnement.
Illustration : un époux survivant souhaitant opter pour une attribution en usufruit, n'aura pas l'obligation de se voir attribuer 100 % de l'usufruit de la succession. Il pourra librement choisir l'étendue de son droit et le limiter dans son quantum ou limiter son exercice aux seuls biens frugifères lui permettant d'assurer son train de vie.
Le cantonnement constitue aussi une excellente solution pour sortir d'une indivision successorale et une alternative fiscalement indolore au partage successoral (dont le coût s'élève à 2,5% de la valeur des biens partagés). Fréquentes sont les situations dans lesquelles les héritiers demeurent des années durant dans une situation d'attente post décès, maintenant une indivision trop complexe et/ou trop couteuse fiscalement à dénouer. La faculté de cantonnement permettra au conjoint gratifié de prélever dans la succession, parmi ce qui lui a été donné, certains biens, quotités ou droits et d'abandonner le surplus aux autres héritiers. Si un partage s'impose par la suite, il ne portera que sur les biens qui n'ont pas été retenus par le conjoint survivant.
La faculté de cantonnement repose donc sur un principe de libre choix et constitue une véritable stratégie de transmission successorale sur mesure. Les autres exemples d'application sont multiples et leur énumération dépasserait le cadre de notre propos qui se veut synthétique et généraliste.
Nous ne pouvons qu'inviter les couples, soucieux du sort du survivant d'entre eux, et plus largement d'appréhender les nombreux enjeux que représente leur succession future (familiaux, fiscaux…), à se pencher, avec l'aide de nos équipes d'ingénieurs patrimoniaux ou de leurs conseils, sur les opportunités et subtilités que recèle la donation entre époux.
David Tavernier
Ingénieur Patrimonial
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 13 décembre 2022
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